Notre tour du monde de la mobilité nous emmène faire étape à Valladolid. Dans un entretien avec son maire Oscar Puente, l’élu nous dévoile la stratégie de la ville en matière de mobilité et nous en fait découvrir tous les aspects.
En pleine réflexion pour repenser la ville, la municipalité participe aussi à des programmes tels que « Connected Cities » et « Horizon Europe : 100 villes intelligentes et climatiquement neutres d’ici 2030 ». Elle fut en outre une des premières villes d’Espagne à réguler la circulation motorisée afin de préserver la qualité de l’air et à imposer la limite de vitesse de 30 km/h dans son centre-ville, avant que cette mesure ne soit appliquée au niveau national. Tout cela appuie le fait que Valladolid prend des mesures importantes pour devenir une capitale de la mobilité durable.
Les transports en commun et la marche sont les moyens de déplacement privilégiés en ville, tandis que le vélo gagne en popularité. Cependant, Valladolid est aussi l’une des villes espagnoles les plus étroitement liées au secteur de l’automobile et à son développement dans le pays. Une relation qu’elle entend d’ailleurs renforcer avec l’implantation prochaine d’une fabrique de batteries électriques.
Arval Mobility Observatory : Quelles sont les principales mesures en matière de mobilité durable actuellement mises en œuvre par la ville de Valladolid ?
Oscar Puente : Nous suivons des recettes bien connues pour appliquer un modèle qui consiste à redistribuer l’espace public de la ville et augmenter le nombre de personnes qui choisissent de se déplacer dorénavant de façon durable, saine et sûre dans notre ville. Si l’on s’en tient à ce modèle, il en ressort clairement que la voiture a gagné beaucoup de terrain au fil des ans et qu’elle l’a fait de manière totalement incontrôlée.
Comme je le dis toujours, il n’y a pas eu besoin d’un plan de mobilité pour que les voitures envahissent nos rues. En revanche, chaque fois que nous voulons en réduire le nombre, nous sommes contraints de présenter un plan de mobilité. Nous en avons fait l’expérience, même du point de vue juridique. Jusqu’à présent, toutes les mesures concernant la mobilité à Valladolid étaient prises par décret. Lorsque nous avons décidé de créer des pistes cyclables au détriment de bandes de circulation, nous étions tenus d’avoir un plan de mobilité.
Tout ce que nous faisons, c’est redistribuer l’espace public de façon plus équilibrée. Il est normal que nous attribuions plus d’espace aux modes de déplacements les plus courants dans notre ville. Or, 51 % des déplacements à Valladolid se font à pied. Les transports en commun représentent environ 17 % des déplacements et les autres moyens de transport se partagent les 34 % restants. La voiture ne représente que 30 % des déplacements quotidiens. Pourtant, elle a occupé jusqu’à 85 % de l’espace public. C’est alors que nous avons décidé de rééquilibrer la situation.
Nous suivons pour cela trois axes principaux : tout d’abord, accorder plus d’espace au vélo, puis créer davantage d’espaces pour piétons et de meilleures liaisons piétonnes et enfin développer la circulation en site propre pour les transports collectifs.
Vous avez récemment lancé BIKI, un nouveau service de location de vélos. Que pouvez-vous nous en dire ?
Ce service rencontre un succès phénoménal : en seulement un mois, le nombre d’usagers a triplé par rapport à celui de l’ancien système de location. C’est-à-dire que nous aurons bientôt quotidiennement trois fois plus d’usagers de BIKI dans les rues que lors du meilleur jour des dix années d’existence du service précédent. Bref, utiliser un vélo de location est devenu en très peu de temps une chose tout à fait normale dans notre ville. En termes de délais, dans le domaine de la mobilité, cela tient du miracle, car ces nouveaux modes de déplacement impliquent aussi un changement de mentalité et cela demande du temps avant qu’ils ne soient mis en œuvre et adoptés par les citoyens. Un autre signe qui ne trompe pas quant au succès de l’opération est le fait qu’auparavant, nous recevions des plaintes de la part de certains riverains à propos du déploiement du service dans leur rue, parce que cela supprimait 3 places de stationnement pour les voitures, tandis qu’aujourd’hui, nous recevons de nombreuses demandes de particuliers pour que nous installions le service dans leur rue, près de leur lieu de travail, aux abords des hôpitaux, etc. Enfin, d’autres communes de l’agglomération se sont montrées intéressées.
Valladolid est l’une des premières villes d’Espagne à vouloir développer une plateforme de mobilité en tant que service (MaaS). Que pouvez-vous nous dire sur le projet « Connected Cities » auquel vous participez ? En quoi consiste-t-il et quand verra-t-il le jour ?
C’est un projet commun entre six villes espagnoles, financé par le fonds de reprise, de transformation et de résilience. Valladolid est en charge de la coordination, car c’est elle qui a présenté le projet, mais nous travaillons toujours en concertation avec les cinq autres villes. L’idée est de créer une plateforme technologique commune pour les transports publics afin de partager les outils de paiements, les données, etc.
Si je ne me trompe pas, le projet a reçu une dotation de 22 millions d’euros de la part de l’Union européenne. C’est donc un projet ambitieux et très intéressant, mais qui illustre avant tout que ces 6 villes partagent une vision similaire de la mobilité. Je pense que toutes les villes espagnoles devraient s’y aligner à l’avenir, car à bien des égards, nous accusons un grand retard par rapport aux autres villes européennes en matière de mobilité.
Plusieurs villes européennes mettent en place des « Mobility Hubs », c’est-à-dire des espaces où sont concentrés les services de mobilité partagée et durable. Est-ce quelque chose que Valladolid envisage de faire aussi à court ou moyen terme ?
Notre plateforme de gestion de la mobilité est en cours de création. Elle est elle aussi financée par des fonds européens. Nous l’établirons au siège de l’opérateur des bus urbains Auvasa, d’où nous pourrons tout contrôler, depuis les transports en commun jusqu’au service de location de vélos, en passant par la mobilité verticale grâce à l’ajout de nouveaux ascenseurs. Ce dernier point concerne par exemple les ascenseurs qui relient le quartier de Parquesol, qui se trouve sur une colline, au reste de la ville, qui est majoritairement plate. Un premier ascenseur a déjà été installé et un autre sera bientôt mis en service. Les parkings publics seront également gérés à partir de cette plateforme de mobilité. Il faut le voir comme une plateforme de gestion globale de la mobilité dans la ville. Si les délais sont respectés, elle devrait être terminée dans trois mois.
Les changements de mobilité s’accompagnent généralement d’un réaménagement de l’espace urbain. À Valladolid, cela s’est déjà traduit par la piétonnisation de plusieurs rues et la création de la ligne de bus VA10. À quels autres changements urbanistiques pouvons-nous nous attendre dans les années à venir ?
En ce qui me concerne, notre plus grand défi est l’infrastructure cyclable. Nous sommes encore très loin d’offrir ce que selon moi une ville devrait offrir en matière de confort et de sécurité pour les cyclistes. L’idée s’est répandue à Valladolid que nous avons créé de nombreuses pistes cyclables au cours de ce mandat. C’est en effet ce que l’on serait tenté de penser quand on compare la situation actuelle à celle qui prévalait avant. Nous sommes pourtant encore très loin de proposer un réseau de pistes cyclables interconnectées. Pour moi, le grand défi urbanistique que la ville devra relever dans les années à venir, c’est la création définitive d’un maillage de voies cyclables interconnectées.
Valladolid a été l’une des premières villes d’Espagne à prendre des mesures juridiques en vue de réduire le trafic motorisé lors de pics de pollution. D’une certaine manière, le concept de zones à faibles émissions n’est pas nouveau pour la ville. Quels avantages y voyez-vous ?
Nous avons effectivement pris un arrêté dans ce sens, que – cela dit en passant – nous n’avons pas eu besoin de mettre en application depuis 3 ans. Alors qu’en 2015, durant la première année de notre mandat, nous avions dû l’activer à huit reprises, ce qui avait pour effet de couper complètement la circulation dans le centre-ville. C’est le signe que notre politique de mobilité livre ses fruits, sans que nous ayons besoin d’activer les zones à faibles émissions pour le moment. Ces zones sont avant tout une obligation légale, et nous devons nous conformer à la loi. Mais je pense aussi qu’elles constituent un élément fondateur dans la construction d’une mobilité sûre, durable et saine. En effet, la circulation dans ces zones à faibles émissions se limite aux véhicules peu polluants ou à zéro émission. Cela devrait naturellement conduire à un renouvellement du parc automobile et inciter à moins prendre la voiture en règle générale pour se déplacer à travers la ville, car les citoyens se tourneront vers d’autres modes de déplacement à Valladolid.
On peut imaginer qu’à Valladolid, la circulation sera régulée au moyen d’écolabels. Ce système sera-t-il aussi restrictif que possible ou exclura-t-il uniquement les véhicules qui n’auront pas de vignettes ?
Nous procéderons par phases. La première phase sera lancée en 2024 et ne concernera dans un premier temps que les véhicules dépourvus de vignettes. Puis nous limiterons progressivement la circulation d’autres catégories de véhicule de 2025 à 2030.
La Commission européenne a choisi Valladolid pour son programme « Horizon Europe ». Pourriez-vous nous expliquer comment ce programme fonctionne et quels défis la ville devra relever pour remplir le contrat ?
Nous sommes l’une des 100 villes européennes (dont 7 espagnoles) choisies pour ce projet. Se retrouver parmi ces sept villes espagnoles est déjà une réussite en soi, car on retrouve parmi celles-ci rien de moins que les 5 plus grandes villes du pays : Madrid, Barcelone, Valence, Séville et Saragosse. À celles-ci s’ajoute Vitoria, qui est un modèle du genre.
Par exemple, à Valladolid, 3 % des déplacements s’effectuent à vélo, tandis qu’à Vitoria, le vélo représente 18 % des déplacements. En d’autres termes, il n’est pas utile d’aller jusqu’à Amsterdam pour s’inspirer : Vitoria nous sert déjà d’exemple à suivre dans le domaine de la mobilité. Vitoria a été sélectionnée pour ses mérites, alors que les cinq autres villes dominent par leur population. Le fait que Valladolid se retrouve parmi ces quelques élues, alors que la ville n’avait jusqu’à il y a peu pas encore changé de siècle en termes de mobilité, démontre que nous avons réalisé de grands progrès dans ce domaine au cours de ces dernières années et que nous avons su faire preuve d’ambition et nous donner les moyens de faire partie de ce club restreint, dont l’objectif principal est d’accélérer la décarbonation.
Cela passe par la mobilité, mais cela passe aussi par d’autres mesures. En ce moment, un réseau de chauffage urbain est en cours de construction. Il devrait desservir toute la ville de Valladolid d’ici 2030. Cette année-là, toute la ville sera raccordée au chauffage urbain, comme c’est déjà le cas de Copenhague aujourd’hui. C’est une véritable révolution à l’échelle d’une ville, surtout qu’il ne s’agit pas d’une ville du sud de l’Espagne, où le chauffage a, disons, peu d’incidence sur la qualité de l’air. Ici, le chauffage représente une part plus conséquente de la pollution atmosphérique. C’est pourquoi nous voulons faire converger les mesures de mobilité, de chauffage, d’amélioration de l’efficacité énergétique de l’habitat, etc. À travers notre plan d’urbanisme général et nos politiques, c’est la rénovation complète du paysage urbain existant que nous visons. Nous voulons un paysage urbain compact, mais surtout, nous voulons faire bon usage de ce dont nous disposons déjà. C’est pourquoi nous travaillons à réhabiliter le paysage urbain actuel. Notre ambition ultime, avec toutes ces mesures, c’est d’avoir atteint notre objectif de décarbonation de notre ville en 2030. C’est un objectif très ambitieux.
La région de Valladolid est historiquement très liée à l’industrie automobile. Après les dernières mesures adoptées en matière de mobilité par la Commission européenne, comment comptez-vous favoriser et accompagner le développement des véhicules électriques ?
Valladolid est heureuse de compter sur son territoire une usine d’assemblage de véhicules ainsi qu’une autre de moteurs. Il y a une autre usine pas très loin d’ici, à Villamuriel de Cerrato. Bien qu’elle se trouve dans la province voisine de Palencia, elle emploie des ouvriers venus de Valladolid. Et nous accueillerons bientôt deux nouvelles usines liées à l’industrie automobile : Switch Mobility, qui produira des bus électriques, et InoBat, qui produira des batteries pour véhicules électriques. Il semble bien que l’industrie automobile entre dans un nouvel âge d’or qui se prolongera certainement eu égard à nos attentes. Nous pensons que l’avenir de nos usines n’est pas directement lié à la politique de mobilité de notre ville ou d’autres. L’industrie automobile doit faire face à un scénario dans lequel l’Union européenne mise beaucoup sur une utilisation plus raisonnée des véhicules particuliers, mais le fait est que les voitures qui y sont fabriquées ne sont pas uniquement destinées au marché local. Elles sont vendues partout dans le monde. Ce qui importe pour l’avenir du secteur automobile à Valladolid, c’est que nos usines soient compétitives, avec un bon climat social, des travailleurs hautement qualifiés et un rapport équilibré entre les coûts de production et le bénéfice revenant aux constructeurs.
Cela explique pourquoi nous prenons nos mesures en toute indépendance, car elles n’ont en principe aucun rapport avec l’avenir de nos usines. Là où nous pouvons les aider, c’est en offrant à nos usines un banc d’essai pour les technologies d’avenir. L’une de ces technologies est la voiture connectée. Sur le plan de la voiture autonome, Valladolid travaille actuellement avec Renault à la création d’un espace où tester ce type de véhicule. C’est un grand projet de développement, mais il peine à trouver des financements auprès de l’UE. C’est là que nous pensons pouvoir venir en aide à nos usines, car nos villes constitueraient de superbes bancs d’essai pour les technologies d’avenir.
Pour conclure, avec tous ces projets dont nous avons parlé, Valladolid aspire-t-elle à devenir une « ville du quart d’heure » ?
Je pense qu’elle l’est déjà. En fait, Valladolid est même une ville où presque tout se trouve à moins de 5 minutes de déplacement. Non pas quinze, mais bien cinq ! Les trajets domicile-travail peuvent être plus longs, mais pour ce qui est des services et de tout le nécessaire, Valladolid est déjà clairement une ville « de moins d’un quart d’heure ».
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